Le 15 avril 1980 un arrêté institue la mission du patrimoine ethnologique en France. L’Art Frappe vous propose de revenir sur ce document.
Arrêté instituant la Mission du Patrimoine Ethnologique (15 avril 1980)
Cet arrêté, bien que court se révèle être un document très intéressant. En effet il traite de la Mission du Patrimoine Ethnologique et s’inscrit donc dans les 3 priorités du ministère de la culture de l’année 1980.
Sous la présidence de Valérie Giscard d’Estaing, les actions fortes du ministère de la culture sont déterminées par Monsieur Lecat. Celles-ci se composent, selon ses termes, de « 3 priorités ». Il s’agit du patrimoine, de la musique et du développement culturel. Pour le ministre de la Culture et de la Communication, Monsieur Lecat, 1980 est une année particulière. En effet 1980 est « l’année du patrimoine ». C’est justement le sujet de cet arrêté du 15 avril 1980 qui institue la Mission du patrimoine ethnologique. Afin de mieux saisir les tenants de cette politique culturelle, nous allons tenter de mieux discerner les enjeux de l’époque. De plus nous nous intéresserons au contexte social dans lequel s’inscrit cet arrêté.
Présentation de l’arrêté
”L’arrêté : « décision écrite exécutoire, prise en application d’une loi, d’un décret ou une ordonnance afin d’en fixer les détails d’exécution. »
Dans notre cas, ce texte court se compose de deux parties : l’une nommée Attributions, l’autre nommée Composition. Ces deux parties comprennent 6 articles. Le premier article du document, sans lequel les autres n’auraient de sens, instaure d’emblée la création d’un Conseil. Ce conseil est dédié au patrimoine ethnologique auprès du ministère de la culture. D’une façon générale toute la première partie décrit l’ensemble des missions, des devoirs et des droits dont bénéficie le conseil. Puis, la deuxième partie détermine les éventuels membres du Conseil.
Première partie de l’arrêté
Concernant la première partie de l’arrêté, dès l’article 2 nous apprenons quel est l’objectif mis en avant. Il est possible de dégager 3 éléments centraux. D’abord la connaissance du patrimoine ethnologique, puis sa préservation et également sa mise en valeur. Ces différents éléments vont se retrouver dans la suite de l’article.
Par ailleurs, rappelons l’intitulé de l’arrêté car il est mentionné que celui-ci institue « la Mission » du patrimoine ethnologique. Ce terme qui évoque l’utilité, l’impératif de résultat, confére ainsi au patrimoine des objectifs tangibles.
Des fonctions accordées au conseil du patrimoine ethnologique
Cet arrêté accorde un certain nombre de fonctions au conseil du Patrimoine ethnologique. Ces fonctions apparaissent dans la première partie du document. Celles-ci sont attribuées au Conseil. Un conseil créé spécifiquement pour cette Mission du Patrimoine ethnologique.
D’abord, il est censé renseigner les décisions politiques du ministère. Il permet également d’assurer le dialogue avec différents agents et, entre autres, avec les instances scientifiques. En outre, il a également pour responsabilité le contrôle et la régulation des activités scientifiques. Cela en favorisant ou non des attributions de crédits. Le conseil du Patrimoine ethnologique doit aussi participer à la diffusion des résultats des recherches appuyées. Il peut être consulté quant aux modalités d’organisations de la mise en valeur du patrimoine ethnologique. Plus encore, il peut influencer le choix dans la protection de patrimoine. De plus il peut influencer dans la création ou même la suppression de collection.
Parmi les différentes fonctions attribuées au Conseil, l’une d’entre elles mériterait d’être questionnée. En effet cet arrêté permet paradoxalement la « création ou la suppression de collections publiques d’objets et documents ethnologiques ». Si, aux premiers abords, différents éléments laissent entendre que la Mission du patrimoine n’a qu’un pouvoir décisionnel indirect, qu’elle procède comme une sorte de consultant pour le ministère, on remarquera qu’elle bénéficie néanmoins d’un large spectre de possibilité. Le terme employé, « suppression », relève d’un champs lexical éloigné de d’autres termes présents dans le document. Par exemple, les termes tels que « valorisation » ou « conservation » qui pourraient sembler être, à priori, les seuls objectifs affirmés du Conseil puisque positivement connotés.
Suite de l’arrêté
En ce qui concerne la seconde partie du document, celle-ci nous permet d’identifier les principaux membres du Conseil. En effet, sans nommer le nom des membres, la description écrite nous renseigne sur les principaux membres y siégeant. On peut notamment identifier Hubert Landais, directeur à la Direction des Musées de France. De plus on peut identifier le directeur du CNRS de l’époque, Jacques Ducuing (1979-1981).
Ce type de partenariat avec L’Etat fait justement parti des possibles projets du CNRS :
« Pour l’accomplissement de ces missions, le Centre national de la recherche scientifique peut […] participer notamment dans le cadre des groupements d’intérêt public, à des actions menées en commun avec des services de l’Etat, des collectivités locales ou d’autres organismes publics ou privés, français ou étrangers . »
1980: l’année du patrimoine
Il faut à nouveau préciser que, d’une façon générale, le patrimoine est mis à l’honneur durant les années 80. Comme le dit Jean-Philippe Lecat, ministre de la Culture et de la Communication :
”Le patrimoine qu'est-ce que c'est, c'est les musées, les monuments historiques, et puis également un certain nombre de grandes oeuvres […] ce patrimoine est trop peu connu, il a été longtemps mal entretenu, mal mis en valeur. Le budget de 1980 propose des opérations très importantes et puis une opération exceptionnelle l'année du patrimoine. Une année exceptionnelle de sensibilisation à l'ensemble des problèmes du patrimoine.
Notons que ce discours fut donné dans le cadre d’un entretien donné pour le journal télévisé de la chaîne TF1.
Selon lui, le budget qu’alloue le ministère est un enjeu politique important. D’une part pour les parlementaires et pour les collectivités. D’une autre part pour les familles françaises concernées par des questions plus larges d’éducation. Depuis le point de vue que propose ce discours, le patrimoine possède un véritable rôle politique, une fonction sociale. Cela explique en partie le souci d’encadrer et de soutenir une telle dynamique, voir même de lui assigner une Mission. Finalement un conseil qui bénéficierait d’un certain pouvoir d’influence.
Intérêts politiques et scientifiques de la mission du patrimoine ethnologique
Finalement la création de cette mission ethnologique semble avoir porté intérêt à la fois aux politiques et aux scientifiques.
Intérêts scientifiques
Concernant les sciences humaines, celles-ci se questionnent à cette période. Cela notamment sur la création d’une discipline ethnologique qui s’intéresserait à la France, non plus à l’exotique, mais à l’endotique. Par exemple, selon Christian Bromberger, on a vu apparaître dans les années 70 une multiplication des études urbaines. D’abord portées sur les pratiques marginales mais se tournant progressivement vers des cadres de vie plus communs. Plusieurs phénomènes sociaux ont procédé de ce regain d’une ethnologie de la France. D’une part avec la rurbanisation et le développement des résidences secondaires, avec la décolonisation. D’une autre part avec le concours de changements institutionnels plus explicites tels que cette Mission du patrimoine ethnologique (MPE).
Il faut préciser que ce nouvel objet d’étude, « le « proche », est au cœur de débats interrogeant sa légitimité scientifique. Il s’agit là de questionnements méthodologiques sur la place du chercheur et de son rapport avec le terrain. Notamment de la « bonne distance » comme le dirait Florence Weber. Ces réflexions jalonnent l’histoire des sciences humaines et de l’ethnologie. Celles-ci, rappelons le, entretiennent le souci de la légitimité scientifique de certaines méthodes. La dynamique générale, va permettre tout de même d’institutionnaliser cette ethnologie du proche. Par exemple avec la création de la MPE en 1980.
On peut donc supposer que cela a participé à l’émergence d’autres phénomènes. Par exemple, avec la création de la revue « Le cahier d’ethnologie de la France ». Celle-ci parait pour la première fois en 1983. Pourtant « Dans la veine de la recherche impliquée, un des effets de l’institution-MPE a été de promouvoir l’ethnologue en expert et d’instrumenter la connaissance ethnologique en savoir d’expertise. »
Intérêts politiques
Pour ce qui concerne l’administration, « il s’agit de réguler – dans leurs dimensions régionalistes mais pas uniquement – des activités patrimoniales désignées comme amateures qui alors foisonnent et sont souvent liées à des mouvements de contestation du centralisme étatique. »
Augmentation des associations de défense du patrimoine
On retrouve d’ailleurs ce constat dans certaines études traitant du phénomène associatif. En effet de 1960 à 1982 une évolution frappante a lieu. Cela concerne les associations de type défense du patrimoine. Celles-ci, sur un total de 20 types d’associations, ont le plus fort taux de progression de création. En effet, ce taux représente une augmentation de 590 ℅.
Cet important développement semblait donc mériter la création d’une instance de contrôle et de régulation. Cette instance qui s’est incarnée dans la MPE.
On peut citer directement Michel Forcé qui fait mentions des dynamiques sociales de l’époque dans un de ses articles. D’abord il énonce : « Le contenu de la rubrique « défense du patrimoine » a changé dans la période récente ». En effet en 1937 et 1960 il s’agissait surtout d’ériger des monuments. Par contre en 1977 et 1982 beaucoup d’associations se sont créées pour la sauvegarde d’une culture ou d’un folklore local. De plus, Michel Forcé rajoute :
”Nous sommes proches du « régionalisme »
C’est également ce que note Michel Valière, faisant le lien entre institutionnalisation du patrimoine et sciences humaines : “ En 1980, au terme d’une décennie de régionalisme militant et qui prônait une “anthropologie autochtone” ou “intérieure”, le ministère de la Culture créa une structure propre, chargée du patrimoine ethnologique […] ” (2002 : 157).
L’émergence d’une mésentente
Finalement cet intérêt commun pour la création de la Mission du patrimoine ethnologique de la part du milieu politique et scientifique va évoluer. En effet la préoccupation commune pour la création de la Mission du patrimoine ethnologique n’a pas empêché l’émergence d’une mésentente. Effectivement : « Si un nouage recherche-action culturelle a pu être tenté depuis le niveau central à l’occasion de changements politiques […] La MPE s’est au final heurtée à la contestation de la pertinence du financement de la recherche dans une perspective qui paraissait trop généraliste au regard des missions du ministère de la Culture. » (colloque de 2016)
On pourrait également ajouter : « Les « correspondants régionaux » dans les DRAC (d’abord dénommés « conseillers sectoriels à l’ethnologie »), dont la MPE s’est dotée dès sa création […], ont noué leurs pratiques aux préoccupations relatives à l’action culturelle, au développement, à des questions politiques, aux « territoires » – ce qui a entraîné une dilution de la référence disciplinaire initiale et pu produire une prise de distance avec la fameuse chaîne patrimoniale « désigner, classifier, conserver, restaurer, publiciser », voire conduire à régler une « ethnologie d’intervention » (Rautenberg 2003).
Pour aller plus loin, on peut encore s’appuyer sur la documentation du colloque rétrospectif de 2016. Celle-ci tirant une partie de ses informations du travail de Barbe Noel. Ce document rappelle entre autres quelques particularités de la Mission du patrimoine ethnologique. On y apprend que cette mission du patrimoine ethnologique n’avait pas au départ « un rôle de prospective ou d’évaluation ».
La mission du patrimoine ethnologique : un outil pour gouverner ?
De plus on nous énonce que l’ethnologie n’est pas vu comme appartenant aux disciplines apportant un réel intérêt à l’Etat. On apprend également que cette Mission n’est pas accompagnée de point d’appui législatif. Ce document nous rappelle encore un élément de La Mission du Patrimoine ethnologique. Celle-ci est un :
”dispositif, institutionnalisant une volonté de contrôle, (qui) paraît relever d’une gouvernementalité pastorale procédant au guidage des pratiques patrimoniales.
Brossat évoque également un autre point sur cette mission. Celle-ci peut « apparaitre comme liée à un mode de gouvernement ou à l’usage du patrimoine pour gouverner .»(Brossat 2008). La Mission du patrimoine ethnologique semble donc être un outil pour gouverner.
Une intervention de Jean-Philippe Lecat
Aussi, on pourrait davantage comprendre les dimensions conjointement écologiques, économiques et culturelles de cette démarche de protection du patrimoine. Notamment par l’intervention faite par le ministre Jean-Philippe Lecat. Ce dernier énonce le 18 septembre 1979 à France Soir :
”Il faut que nous créions un réflexe, pour qu’avant de construire des immeubles de verre et d’acier qui, de São Paulo à Pékin en passant par Kinshasa, se ressemblent tous et usent des millions de kilowatts d’électricité. Les dirigeants des collectivités locales et les patrons des entreprises regardent d’abord le patrimoine national.
(retranscription dans le Dictionnaire des politiques culturelles de la France).
En dépit du budget attribué au projet, il encouragea les prises d’initiatives locales. Celles-ci favoriseraient le développement et la protection du patrimoine. Elles iraient également dans le sens du 7eme plan nationale (1976-1980). Ce dernier comprenant différentes actions prioritaires telle que la défense du patrimoine architectural. Ce souci du patrimoine, qui peut se trouver qualifié d’ethnologique selon les critères attribués, ressaisit plusieurs enjeux de l’époque.
Pour aller plus loin
Il est possible d’approfondir le contexte économique. Notamment en restituant les conséquences des chocs pétroliers des années 70.
Bibliographie
– BARBE Noël. La mission du patrimoine ethnologique comme instrument de
gourvernementalité. Texte préparatoire a un séminaire sur l’histoire de la mission du
Patrimoine ethnologique. 2008.
– FORSE Michel, Les créations d’associations : un indicateur de changement social. In
: Observations et diagnostics économiques : revue de l’OFCE, n°6, 1984. pp.125-145;
-MOREL Alain, La mission du patrimoine ethnologique, dans le dossier L’ethnologie,
Culture et recherche n°87, octobre-novembre 2001, p 4-5
– WARESQUIEL de Emmanuel Dictionnaire des politiques culturelles de la France
depuis 1959, Paris : CNRS Éditions (dir.). Paris : CNRS
-WEBER Florence, Brève histoire de l’anthropologie, Flamarion, collection
« Champs », 2015
– https://www.scienceshumaines.com/les-nouveaux-objets-de-l-ethnologie_fr_9742.html
– https://www.dailymotion.com/video/xxuw5l_christian-bromberger-lentrevue_creation
– ColloqueMPEargumentaire2.pdf